Saviez-vous que le jeu de rôle avait beaucoup de similarités avec l’écriture de fiction et que c’était une activité bénéfique pour les écrivains ? Personnellement, j’ai bien peu de connaissances sur le jeu de rôle et je suppose que vous êtes nombreux à ne pas savoir comment ça fonctionne. Alors quand j’ai découvert que les @supergeekettes Laurie et Marion et leur maître de jeu Jérémie s’étaient lancés dans un jeu de rôle Harry Potter, je me suis dit qu’il fallait que je les invite sur le blog pour en parler. Vous trouverez dans cette interview toutes les bases du jeu de rôle du point de vue des joueuses et du maître de jeu.
Comme l’interview est longue, elle sera publiée en deux parties. La deuxième partie sera disponible le 29 juin 2021. Dans la première partie, Laurie, Marion et Jérémie vous expliquent ce qu’est le jeu de rôle, comment on crée une campagne et des personnages.
Sans plus tarder, je leur laisse la parole !
Laurie – J’ai découvert le jeu de rôle grâce à mon meilleur ami. Il pratiquait depuis déjà quelques années et lançait sa campagne. Il m’a expliqué ce que c’était, au début j’ai trouvé ça bizarre. J’ai adhéré dès la première partie, depuis je ne cesse de redécouvrir ce loisir à travers toutes ses facettes.
Marion – Bonjour les Midgard’siens ! Je suis Marion, rôliste depuis une bonne dizaine d’années. Ce sont des amis qui m’ont initiée en m’invitant à leur table. J’ai découvert ce vaste univers en commençant par une campagne Cthulu. Il m’a suffi d’une fois pour plonger la tête la première.
Jérémie – Bonjour, je m’appelle Jérémie Moran, je suis illustrateur et Concept Artist, principalement pour des studios de jeu vidéo et occasionnellement pour le Jeu de Rôle et les jeux de plateau. J’ai découvert très jeune les Jeux de Rôle grâce à mon frère aîné et ses amis qui m’y ont initié lorsque j’étais en primaire. Je n’ai jamais arrêté de pratiquer depuis.
Laurie – Le jeu de rôle se joue à plusieurs, autour d’une table, en ligne ou en grandeur nature, il y a un maître du jeu. Les joueurs créent un personnage de leur choix ou non qui évoluera dans l’univers décidé. Le maître du jeu présente un scénario, et les joueurs décident de ce qu’ils veulent faire, les actions étant limitées, ou non, par des jets de dés qui correspondent à des caractéristiques inscrites sur une fiche de personnage.
Un personnage joué par un joueur est un PJ (Personnage Joueur/Joué).
Un personnage qui fait partie de l’histoire mais qui est interprété par le MJ est un PNJ (Personnage Non-Joueur/ Joué).
Marion – Le principe est plus simple encore que n’importe quel jeu de société ! Une table, des joueur·ses, un·e maître du jeu (MJ), des dés (ou parfois des cartes) et c’est parti pour une aventure « co-imaginée » !
Ce type de jeu mêle scénarisation, interprétation, jets de dés (ou tirage de cartes) et souvent manipulation de petits objets divers quand on a un MJ aussi imaginatif que le nôtre !
Le MJ propose un univers avec un ou des scénarios. Les joueuses autour de la table, elles, interprètent un personnage qu’elles ont préalablement construit. Parfois, pour déterminer si une action est réussie ou non, les joueuses jettent des dés. Le résultat influence bien souvent le cours de l’histoire.
Jérémie – Le jeu de rôle est avant tout un moyen très complet de raconter des histoires, c’est un média qui permet à la fois de raconter une histoire, de la vivre, de la modifier de manière tout à fait unique et de la partager. Un jeu de rôle est un jeu de groupe, un jeu social, où l’un des participants se place en maître de jeu et donc de narrateur tandis que les autres participants vont incarner les personnages principaux de l’histoire. Via des règles tacites et d’autres plus officielles, les participants vont pouvoir créer une histoire dont ils seront à la fois spectateurs et les principaux protagonistes. Le maître de jeu décrit des situations, en essayant de poser l’ambiance, en décrivant les lieux, l’atmosphère, ce qu’il se passe, parfois en utilisant de la musique ou des sons, ou des dessins ou tout autre moyen de véhiculer des idées, puis les joueuses vont pouvoir réagir en décrivant à leur tour les actions que leurs personnages respectifs essayent d’entreprendre. C’est le maître de jeu qui va raconter comment cela se passe par la suite, avec ou sans l’aide de règles en fonction de la complexité des actions. Combats, discussions, effets comiques, ambiance horrifique… Tout est possible.
Laurie – Déjà, il a beaucoup d’imagination… Ensuite je crois qu’il est allé chercher les règles de base et des conseils sur Internet, sur des pages dédiées.
Il se base sur la saga notamment via l’histoire générale (contexte d’après-guerre), et aussi et surtout via les PNJ tels que les professeurs ou Bill Weasley par exemple. Par contre, il se passe des choses en plus qui n’ont pas existé dans l’univers de J. K. Rowling, comme par exemple de nouvelles parties du château, plein de nouveaux personnages, une coupe de Quidditch inter-écoles…
Marion – Comme nous, il est déjà passionné de l’univers créé par J. K. Rowling, ensuite il a fait énormément de recherches sur le lore pour être sûr que le scénario proposé soit cohérent. Nous commençons notre première année à Poudlard en 1982, après la guerre et avant les aventures de Harry Potter qui, pour nos personnages, est une légende.
Le MJ intègre des personnages de la saga que l’on connaît, comme Dumbledore, McGonagall, Hagrid, Rogue, etc. mais crée également de nouveaux personnages, des personnages non-joués (PNJ). Ces personnages nous donnent la réplique pendant la partie. Leur background est aussi (voire plus) approfondi que les personnages créés par J. K. Rowling, ce qui fait qu’on s’attache à eux et qu’ils prennent vie dans le décor, comme s’il était évident qu’ils en fassent partie.
Notre MJ se fait aussi certainement des listes de sorts, de données techniques sur les baguettes, sur les potions, les herbes et créatures magiques, les dates marquantes de l’univers, etc. mais il conserve tout ça dans un carnet qui nous est tenu secret pour entretenir le mystère !
En tout cas il attache une attention toute particulière à la musique pour accompagner les parties. Certaines, comme le thème principal qui est épique, ne peuvent pas être utilisées en toutes circonstances. Il y a donc un travail, en amont, de recherche musicale pour appuyer le sens de certaines scènes ou instaurer des ambiances particulières.
Jérémie – Dans mon cas, il me fallait un système de règles déjà existant pour ne pas avoir à perdre trop de temps à compiler toutes les informations du monde, quantifier et lister tous les sortilèges, potions ou objets magiques de l’univers. Les règles du jeu aident énormément à fixer les limites et le cadre d’un univers et favorisent la projection des joueuses dans le scénario. Une fois le système trouvé (j’ai choisi le système crée par Geek-It, qui se sont basés sur un système de règles générique appelé BaSiC, et largement diffusé) je me suis concentré sur l’univers. Mes joueuses étant de grandes fans et grandes connaisseuses de l’univers je me devais de me mettre à jour afin de pouvoir leur faire vivre de manière crédible des aventures dans le monde de Harry Potter.
J’ai donc commencé tout simplement par revoir les films en notant les questions qui me venaient sur l’univers, puis j’ai posé un certain nombre de questions à divers contacts très calés sur Harry Potter. Par exemple, peut-on redoubler à Poudlard ? Est-on automatiquement inscrit à Poudlard ou est-ce que certains sorciers ne sont pas scolarisés ? Quelle est la différence entre un Cracmol et un Moldu ? Peut-on acheter une baguette ailleurs que chez Ollivander ? Les sorciers ont-ils une école avant l’école de sorciers ? Et tant d’autres questions qui me permettaient d’approfondir mes connaissances, de m’assurer des incohérences possibles, et ces discussions généraient automatiquement des idées dans ma tête.
Une fois l’univers suffisamment compris, j’ai commencé à noter tout un tas d’idées, de thèmes, plus ou moins larges ou précis, des concepts de personnages ou d’événements tout en commençant à lire les romans (qui contrairement aux films, je n’avais jamais pu avoir). Les idées venaient, mûrissaient, étaient oubliées, reprises, modifiées.
Mon but a rapidement été clair, jouer à une période proche des films, pour pouvoir utiliser nos connaissances et références communes, pouvoir faire des clin d’œil, etc., mais avant la saga, afin de pouvoir m’émanciper de toutes les conséquences de ce que font Harry et les siens. J’ai donc opté pour l’année 1982, deux ans après la chute de Voldemort et donc la naissance de Potter. Et c’est à partir de là que j’ai choisi mon thème « le Trauma d’après-guerre. »
Je me suis inspiré de ce qui était expliqué dans les livres mais aussi de ce que nous savons historiquement des années d’après-guerre, par exemple la Seconde Guerre mondiale. J’ai voulu axer ma campagne sur un univers teinté de gris et de mélancolie, le soulagement de la fin de la guerre, mais le traumatisme que cela a laissé aux parents et comment cela se reporte sur leurs enfants, scolarisés à Poudlard. Certains sont loin de tout cela et vivent une vie parfaitement normale tandis que d’autres ont perdu des parents à cause de la guerre, ou même sont enfants de Mangemorts avec l’héritage indésiré que cela leur laisse. Puis une fois à ce stade, j’ai écrit, écrit, écrit, créé, lu, regardé, parlé, puis il a fallu commencer.
Laurie – C’est le MJ qui a créé les PNJ et ce sont les joueuses qui ont créé leur personnage (les PJ). En tant que joueuses, on fait évoluer nos persos surtout au début je trouve : on tâtonne, on se teste, on décide de la personnalité affinée de notre personnage. Ensuite, notre personnage évolue en fonction des interactions avec les autres PJ ou les PNJ, en fonction de ce qui va lui arriver, des évènements auxquels il va être confronté ou non… Comme quelqu’un de normal finalement !
Marion – Les PNJ sont tous joués par le MJ. Il peut interpréter un Rogue dans ses plus mauvais jours et la minute d’après interpréter un première année plein de gaieté, créé spécialement pour la campagne. Je pense que les personnages créés par J. K. Rowling sont voués à très peu évoluer à l’inverse de ceux qu’il a créés.
De notre côté en tant que joueuses, on crée nos propres personnages joués (PJ), à l’aide d’un modèle de fiche (si vous avez l’occasion, jetez un œil par ici pour voir à quoi elles ressemblent – Notre MJ est aussi un grand artiste, c’est lui qui les a entièrement dessinées !). Ces fiches comprennent des caractéristiques qui peuvent évoluer au cours des parties, notamment en fonction des (més)aventures que nous vivons, mais aussi de notre attention en cours.
Par exemple, mon personnage, Isaure, est très mauvais en vol. Mme Bibine a fini par lui donner une dispense pour le cours de balai. Régulièrement je suis amenée à retirer des points de ma fiche dans cette matière, ce qui a des conséquences sur la difficulté de mes jets de dés. Il sera extrêmement difficile pour Isaure (voire impossible) de se sortir d’une situation délicate en montant sur un balai. À l’inverse, le personnage de Laurie, Aloy, est très forte en la matière. Cette seule différence entre nos personnages peut donner des situations à mourir de rire et construisent socialement les adolescentes que l’on joue.
Nous travaillons également un background écrit, plus approfondi. C’est notamment l’occasion de donner du corps à notre personnage et de la matière pour l’interpréter.
Pour résumer, nos personnages évoluent en fonction de ce que le MJ nous fait vivre, de nos caractéristiques et notre background, mais également en fonction des interactions entre PJ et des échecs/réussites aux jets de dés.
Jérémie – Principalement le Maître de jeu et dans notre cas précis, moi, mais je ne fais que les créer et c’est en effet les joueuses qui les font réellement évoluer. Plusieurs des personnages que j’ai créés pour notre campagne Harry Potter avaient une base psychologique définie, des aspirations, des évolutions possibles mais que les actions des joueuses pouvaient influencer.
Par exemple de manière très grossière certains personnages avaient sur leur fiche des inscriptions disant « en fonction de la manière de se comporter des joueuses a 30/50/80% de chances de passer à l’ennemi ou de devenir un allié. »
D’autres personnages plus subtils auraient des choses assez précises qui pourraient les faire changer de comportement ou d’aspiration. Mais ce ne sont que des indices car les interactions que nous jouons en parties sont si nombreuses, variées et intenses qu’on ne peut tout anticiper ou chiffer de manière si binaire. Et je préfère me laisser surprendre par mes personnages en découvrant leurs réactions, somme toute logiques vu la psychologie que je leur ai décidée, en fonction des actions, paroles, ou parfois plus importantes, non-actions et non-paroles des joueuses à leur égard. Faire quelque chose à un personnage peut être tout aussi important que justement de ne rien faire alors que celui-ci était dans l’attente d’une interaction, d’une connexion, d’une réciprocité. Il était clair dès le début pour moi que tous les personnages auraient une vie en dehors des scènes jouées et que joueuses ou non ils continueraient à avancer de leur côté.
Dans notre campagne, plusieurs personnages ont été blessés (émotionnellement ou physiquement) par les actions des joueuses. D’autres au contraire ne tiendraient pas sans leur soutien et leur amitié. Nous avons même eu droit à une grosse dispute entre les deux personnages des joueuses qui a débouché sur plusieurs semaines (en jeu) où elles refusaient de se parler et chacune remplaçait cette amitié perdue avec des personnages non-joueurs desquels ils se sont rapprochés.
Je m’intéresse beaucoup à la psychologie mais surtout à la sociologie, c’est pourquoi j’aime créer des situations juste liées aux effets des groupes, aux rumeurs, aux discussions banales, à l’amitié, à la vie en promiscuité et en scolarité. Le collège et le lycée sont des périodes difficiles pour beaucoup, alors si on ajoute à cela la magie et le contexte d’après-guerre, nous avons une bonne dynamite sociale.
Certains personnages sont des caricatures des « bons gars », des « @&#$! », des amis toxiques, ou des amis sincères. Il n’est pas toujours évident de savoir qui est qui, et un ami génial peut être un partenaire tout à fait exécrable. Et au cœur de tout cela, l’un des trois thèmes principaux de ma campagne : la jalousie.
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J’espère que cette première partie vous aura plu. Vous pourrez retrouver la deuxième partie de l’interview ici.
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Bon jeu de rôle !